Le solstice des baleines est devenu L’aube du solstice, Alain Lefort a repris le bâton-témoin né de l’imaginaire de Reno Salvail mais, malgré tout, le projet n’est encore que ce qu’il a toujours été : une idée folle qui n’a pas encore vu le jour. Afin de faire un pas de plus vers sa concrétisation, en août 2022, une équipe s’est formée pour explorer le fleuve et dénicher l’endroit idéal pour ancrer l’installation.
Au départ de Montréal, le 8 août, Alain Lefort attend vainement l’arrivée du reste de l’équipe. Dans un stationnement de PFK qui émane des odeurs louches, il est aux côtés de Sœur Anne et assiste, impuissant, au spectacle du soleil qui poudroie et de l’herbe qui verdoie. Les heures défilent et personne n’arrive. Le projet serait-il mort-né?
En vérité, ceux que le photographe attend sont toujours chez Étienne Desrosiers, cherchant comment faire entrer le matériel dans les voitures. C’est que le cinéaste a l’intention de tourner sur pellicule, un beau clin d’œil au travail de Lefort qui privilégie l’argentique au numérique. Or, de telles caméras prennent de la place, beaucoup de place. Au terme de nombreux sacrifices, enfin, on parvient à coffrer caméras et bagages, et l’équipe prend la route dans la bonne humeur. En plus de Lefort et Desrosiers, Domingo Lamarre, directeur-photo, Olivier Léger, preneur de son, et Gérard Martin, assistant-caméraman, prennent place dans le convoi. Leur premier arrêt : Baie Saint-Paul.
Ils explorent le relief de Charlevoix, ses paysages à couper le souffle où passent le panorama de l’Isle-aux-Coudres, en contrebas, et cette rive sud, qui prend de plus en plus ses distances. Le fleuve s’élargit peu à peu et, le lendemain, ils se retrouvent à Tadoussac, tout près de Baie Sainte-Catherine, là où Le solstice des baleines aurait eu lieu.
Là-bas, sur L’Oursin – le zodiac du capitaine Florent Desrochers -, le groupe aperçoit le phare Haut-Fond Prince, puis l’île Rouge, cet endroit que, possiblement, Reno Salvail décrit dans son récit. Elle est l’une des plus petites îles du Saint-Laurent, mais ses hauts fonds, qui s’étirent jusqu’à 14 fois sa longueur, causent des problèmes aux navigateurs depuis des siècles. Les hommes la considèrent, pour ce qu’elle est, d’abord, puis d’un œil calculateur. Chaque île du fleuve est candidate, après tout, mais le constat du jury est cette fois sans appel : elle ne pourra pas héberger l’installation. Alain Lefort écrit : « L’île est inhospitalière. Les oiseaux de toutes sortes en sont maîtres et l’odeur du guano impose un certain recul. Capitaine Desrochers nous informe qu’il faut un permis pour y mettre pied. Ça sera pour une autre fois. »
De retour sur le continent, une visite s’impose au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM), qui leur permet de rencontrer son inspirant directeur, Robert Michaud. Le déclin de la population du mammifère marin et la décroissance de ses visites dans l’estuaire l’inquiète, ce que ne manque pas de relever Lefort : « Notre ode à la baleine deviendra-t-elle un au revoir au grand mammifère marin qui nous rend visite à chaque année? »
L’île Rouge derrière, le groupe poursuit son épopée sur le fleuve à la recherche de l’île rêvée, grimpant tour à tour à bord des embarcations de Florent Desrochers, de Jacques Gélineau et de Gaston Déry. Pendant dix jours, ils explorent le territoire en passant par Godbout, Matane, Trois-Pistoles et Rimouski, entre autres, mais surtout, d’une île à l’autre, humant les parfums rares de l’Île-aux-Pommes, de l’Île-aux-Lièvres et de l’Île Nue de Mingan, notamment.
En dépit des merveilles que recèlent ces endroits, c’est au troisième jour, le 10 août, que Sept-Îles tombe dans l’œil du convoi. Étienne Desrosiers écrit : « Sept-Îles apparaît, pacifique, étalée, east-coast canadiana, riche de pickups rutilants, avec ses maisons basses aux amples stationnements et ses enseignes pop art, un peu décaties, telle une photo de Stephen Shore. Le fleuve devient ici océan, profond, bordé d’aciéries triomphantes. Le capitaine Jacques Gélineau est volubile, roublard, blagueur, l’œil vif, la peau basanée par le soleil marin. »
Non sans une certaine ironie, l’arrivée du convoi survient 487 ans, presque jour pour jour, après que Jacques Cartier eut sillonné le territoire, l’instituant au passage d’une nouvelle nomination : Sept-Îles. Entre toutes, c’est l’île de Grande Basque qu’Alain Lefort considère comme endroit tout désigné pour l’installation.
Au cœur de l’archipel, Grande Basque constitue un rempart naturel qui protège la baie des forts vents et des intempéries. Enclavée entre Uashat et Maliotenam, elle est vieille d’environ 565 millions d’années, et a connu les dinosaures, les glaciations, les Vikings et les pêcheurs basques. Plus récemment, on s’y rend pour le plein air, la beauté de ses paysages ou la diversité de sa faune et de sa flore. D’ici peu, elle sera le théâtre d’un autre événement d’envergure : L’aube du solstice.
Le compte à rebours s’est emballé et nous voici désormais à 48 jours du solstice. C’est peu, mais c’est amplement de temps pour vous permettre de faire connaissance avec les artistes de ce grand projet. La semaine prochaine, je vous donne rendez-vous avec Alain Lefort.