Ramsès est entré dans la vie de Reno Salvail de deux façons. À vrai dire, non pas Ramsès 1er, dont le règne fut très bref (vers -1295 à -1294), mais bien Ramsès II, dont la souveraineté, longue de 66 ans, correspond à l’apogée de la puissance et de la gloire de l’Égypte. Il est le pharaon qui a fait construire le plus de monuments, faisant sculpter, sur chacun d’eux, son nom, comme s’il en était lui-même le bâtisseur. Ramsès II, disons-le, était couvert d’or, et non d’humilité.

Reno Salvail, donc, artiste multidisciplinaire, photographe et auteur, complétait des études à Aix-en-Provence – il a d’ailleurs obtenu, en 2001, un doctorat en arts plastiques et sciences de l’art à l’Université d’Aix-Marseille – lorsqu’il s’intéressait aux réalisations de la civilisation égyptienne. On pense spontanément aux grandes pyramides, bien sûr, mais l’artiste était plutôt fasciné par les momies.

À l’époque, il explorait la forêt à la recherche d’animaux morts. De retour à l’atelier, il les momifiait, avant de remettre leur peau. De cet intérêt lui est venu l’envie de se rendre lui-même en Égypte, pour aller rencontrer, en chair desséchée et en langes, des momies. 

Il est dans l’ancien musée du Caire lorsqu’un renard momifié, haut perché sur une tablette, attire son attention. Saisissant un banc tout près, il se hisse au niveau du renard et le prend en photo, fier de sa capture. Une fois redescendu, en replaçant le petit banc, il aperçoit une notice, indiquant que l’objet était un artéfact construit à l’époque de Ramsès II. Un peu honteux, Reno Salvail replace le petit banc, qui avait plus de 3000 ans, et poursuit sa visite. On ignore si Ramsès II, à l’étroit dans ses bandelettes, s’est retourné dans son tombeau.

Il prend une fois de plus rendez-vous avec le grand pharaon aux abords du lac Nasser, dans la zone archéologique des monuments de Nubie, en 1985. Il est au cœur d’un attroupement assez populeux – il en est d’ailleurs étonné – autour de gens qui ont dû camper sur le site, afin d’assister au spectacle des premiers rayons du soleil du solstice d’été. Avec un peu de chance, les rayons vont pénétrer le monument d’Abou Simbel, parcourant soixante mètres pour venir éclairer les statues de trois divinités – Rê, Amon et Ptah –, en plus de celle de Ramsès II.

C’est la deuxième rencontre de Reno Salvail avec le souverain égyptien, mais le spectacle annoncé n’aura pas lieu. Ce jour-là, les nuages ont disputé le ciel aux premières lueurs de l’aube, empêchant celles-ci d’illuminer le monument. La curiosité des scientifiques, artistes et touristes sur place ne sera pas sustentée et, en place du coup d’éclat attendu, on se console en se souhaitant « À l’année prochaine! »

Reno Salvail ne sera pas de retour à Abou Simbel l’année suivante. Dans les années qui suivront, il consacre la majeure partie de son travail à des installations, notamment l’exhumation d’une baleine de 16 mètres de longueur, destinée à être exposée dans un musée. Puis, avant d’entreprendre de nombreuses pérégrinations créatrices qui le feront explorer les merveilles vivantes et cosmogoniques de notre monde – du désert de Mojaves à celui de Bardenas Réales, de l’Arctique canadien à l’Écosse, de Kamchatka à la Patagonie –, il choisit de régler ses comptes avec les premiers rayons du solstice. Ainsi, en 1992, il élabore une œuvre en lien avec le solstice, mais cette fois, ici, en plein cœur du Saint-Laurent, sur des îles près de Tadoussac.

Reno Salvail allait-il utiliser une péniche ayant servi à Jacques-Cartier pour se déplacer? Allait-il entreprendre le gargantuesque projet de momifier un cachalot? Et enfin, les nuages allaient-ils, cette fois, laisser le champ libre aux rayons solsticiaux? La suite, dans une semaine.