L’aube du Solstice, c’est une installation in situ, un projet photographique, un essai documentaire long-métrage, un balado, un carnet de bord multimédia et un site web. C’est aussi beaucoup de monde, séduit par le rêve fou d’aller cueillir la lumière du soleil pour nourrir la mélopée des baleines. Mais avant tout, c’est une idée.

Pour saisir une idée, pour la mettre en œuvre ou, tout simplement, la comprendre, il faut parfois remonter à sa source. Se laisser porter par elle, la laisser aller et venir à son gré, tout en restant attentif à ses modulations ou à la façon dont elle teinte notre regard sur notre environnement. Il arrive qu’une idée nous quitte comme elle est venue, comme un rêve abandonné au creux de la nuit, mais d’autres fois, elle fait son chemin dans notre esprit, d’abord petite puis, comme une balle de neige qui devient avalanche, se met à apparaître partout, s’agglutinent  à nos sens en cherchant, par tous les moyens, à se matérialiser. Elle est alors obsession, fantôme ou apparition qui nous hantera tant qu’elle n’aura pas accomplie sa salvatrice mission : s’incarner.

Pour se familiariser avec l’idée à l’origine de L’aube du Solstice, il nous faut remonter le Nil et regagner l’Égypte. L’Égypte n’est-elle pas, après tout, le berceau de la civilisation? Ainsi, invitons-nous en 1960, dans ce pays alors sous l’égide de Gamal Abdel Nasser, notamment célèbre pour avoir nationalisé la compagnie du canal de Suez. Ces jours-là, sur sa table à dessin, il considérait le projet de barrage d’Assouan, destiné à contrôler les inondations destructrices, à générer de l’hydroélectricité et à stimuler l’agriculture dans la région.

Or, les barrages, on le sait trop bien, n’ont pas que des avantages. Dans ce cas-ci, le barrage créerait un lac artificiel, forçant le déplacement de 90 000 personnes, en plus de hausser le niveau de l’eau du Nil, submergeant quelques sites archéologiques et monuments historiques d’importance, parmi lesquels les temples d’Abou Simbel.

Un 1er juillet, 1460 jours consécutifs

Les deux temples d’Abou Simbel ont été creusés à même la falaise de grès surplombant le Nil, à l’initiative du pharaon Ramsès II, qui voulait célébrer sa victoire à la bataille de Qadesh, quelque part en 1260 avant Jésus-Christ. Le plus grand est flanqué de quatre statues colossales, s’étirant sur plus de vingt mètres de hauteur. Il est construit de telle sorte que chaque 22 février et 22 octobre, le soleil pénètre le monument sur une longueur de 60 mètres, venant chatouiller de sa lumière une pièce intestine où sont érigées les statues des divinités consacrées – Rê, Amon et Ptah –, en plus de Ramsès II, qui ne se prenait visiblement pas pour de la schnoutte.

Classés patrimoine mondial par l’UNESCO, la perspective qu’ils soient avalés par les eaux relevait de la catastrophe pour plusieurs, si bien que le 8 mars 1960, dans la foulée de l’annonce de la construction du barrage, l’UNESCO a lancé un appel à la sauvegarde des temples. Forte d’une collecte de 40 millions de dollars américains (plus de 300 millions en dollars d’aujourd’hui), une équipe d’archéologues, d’ingénieurs et d’opérateurs d’équipements lourds ont entrepris, en 1964, le sauvetage des temples. 

Pendant quatre ans, les temples ont été découpés en immenses blocs – plus d’un millier au total, d’environ 20 tonnes chacun. Un an et demi de découpage minutieux et de démontage complexe, tout ça dans un nuage de poussière spectaculaire, avant que ne débute la reconstruction. Hissés sur 65 mètres de hauteur, puis transportés sur 200 mètres à l’intérieur des terres (afin de protéger le monument d’une inévitable érosion), les blocs ont finalement reconstitué le monument d’origine, après deux ans et demi de labeur aussi délicat que massif. Encore à ce jour, ce déplacement inouï demeure l’un des plus grands défis d’ingénierie archéologique relevés par l’humanité.

Le 22 septembre 1968, enfin, a eu lieu l’inauguration de ces temples millénaires à leur nouvel emplacement. Tout comme à leur lieu d’origine, deux fois par an, le soleil pénètre les monuments et offre un petit trait de bronzage aux divinités endormies, un spectacle d’une précieuse beauté qui attire un grand nombre de curieux. En 1985, Reno Salvail, artiste multidisciplinaire originaire de Plessisville, a assisté à l’une de ces percées lumineuses.

Que vient faire Reno Salvail dans cette histoire? De quelle façon Ramsès a-t-il participé à l’élaboration de L’aube du Solstice ? Une idée n’est pas une pilule qu’on avale d’une traite. Il faut défaire chacune de ses perles, la laisser nous habiter et devenir son alliée. On vous laisse donc avec le germe d’une idée, en attendant de vous retrouver, dans une semaine, avec la suite de l’histoire.